Gestion raisonnée de la grande douve en élevage laitier

Publication : mardi 1 septembre 2015

La gravité des impacts zootechnique et sanitaire de la grande douve rend indispensable son contrôle. La restriction d’usage des douvicides en élevage laitier conforte l’importance du conseil des vétérinaires auprès des éleveurs.

L’approche globale du risque est nécessaire pour proposer aux éleveurs des protocoles de gestions agronomique et chimio thérapeutique.

Seules les options de traitement des animaux à risque sur la période du tarissement jusqu’au vêlage et/ou à l’occasion d’une autre indication d’écarter le lait (mauvais état général de l’animal douvé ou autre indication de traitement) sont actuellement justifiées et possibles.

Des préconisations de traitement en lactation pourront également être établies quand la fiabilité des tests sur le lait de tank et de mélange sera validée, et si la mise en oeuvre des analyses sur lait individuel se systématise.

Introduction

Depuis la mise à jour du 29 Novembre 2013 par l’Agence du Médicament des conditions d’utilisation des médicaments douvicides, l’oxyclozanide devient la seule molécule autorisée pour traiter la grande douve chez la femelle laitière pendant toute la durée de la gestation, la lactation et le tarissement.

Le 7 Janvier 2014, l’Agence du Médicament a également fixé un nouveau temps d’attente lait de 4.5 jours pour les spécialités vétérinaires à base d’oxyclozanide, actuellement autorisées.

Il n’est plus possible de traiter les animaux en lactation sans écarter le lait pendant la durée du temps d’attente fixé (voir article de Ph. Camuset dans ce recueil).

Les conséquences épidémiologiques, pratiques et économiques de ces décisions pourraient aboutir à réduire le contrôle de la fasciolose en élevage laitier, dans un contexte où la pression d’infestation prêterait à augmenter.

L’expertise du vétérinaire est capitale pour sensibiliser l’éleveur de la « gravité sournoise » (Alzieu et al., 2007)1 de l’impact de la grande douve sur les performances zootechnique et la santé des animaux, et pour établir une stratégie de prévention et de traitement. Il s’agit d’un enjeu de santé publique. En effet, les dernières publications rapportent une diminution de sensibilité des tests de dépistage de la tuberculose chez les animaux douvés (Claridges, 2012 ; Flynn, 2010 cités par Ph. Dorchies et C. Chartier dans ce recueil) 12,14.

Le but de cet article est de synthétiser les données actualisées sur l’impact de la grande douve en élevage laitier, de présenter les différents indicateurs diagnostiques, et de proposer une stratégie de gestion raisonnée.

Impact de la grande douve en elevage laitier

La migration entéro-hépatobiliaire et l’installation de la grande douve dans les canaux biliaires sont à l’origine de lésions hépatiques sévères au niveau du parenchyme hépatique et des canaux biliaires (Lacroux and Schelcher, 2008)20. Les perturbations du métabolisme hépatique sont en relation étroite avec le bilan énergétique en péripartum, et sont à l’origine de nombreux troubles métaboliques chez les ruminants (Philippe and al., 2008)24. Le traitement de la grande douve au tarissement améliore le métabolisme hépatique post-partum (Charlier, 2012)7.

Les conséquences négatives de la grande douve sur la production laitière, la croissance, les performances de reproduction et l’immunité ont fait l’objet de nombreuses publications récentes rapportées ci-dessous. En plus d’être une zoonose redoutable (Dauchy, 2007 cité par Jacquiet, 2008)17, la fasciolose en diminuant la réponse des tests de dépistage de la tuberculose, participerait à sa propagation (Claridges, 2012 ; Flynn, 2010 cités par Ph. Dorchies et C. Chartier dans ce recueil)12,14.

1.1 Production laitière

Les études récentes rapportent une réduction de la production laitière de 3 à 9 %. Ainsi, Charlier en Belgique en 2012, montre une augmentation moyenne de la production de 1,0 Kg par vache et par jour chez des vaches infestées (densité optique Elisa Es sur lait individuel >0,3) traitées au tarissement par rapport à des vaches infestées non traitées, issues de troupeaux infestés (densité optique de lait tank ES Elisa > 0,8)7.

Mezo en 2011 rapporte un effet analogue, avec une différence de production moyenne de 1,5Kg par vache et par jour en comparant les troupeaux dont la densité optique du lait de tank est élevée (MM3 - SERO Elisa > 0,405) correspondant à une prévalence intra-troupeau estimée supérieure à 25% avec les troupeaux dont la densité optique est inférieure au seuil de positivité de 0,100. Mezo détermine également le seuil de la densité optique individuelle > 0.762 (médiane) pour lequel la production des vaches infestées est la plus pénalisée (-2.1 Kg / Vache / J par rapport aux vaches dont la densité optique individuelle est <0,100). Néanmoins, près de 60% de la variabilité du modèle s’explique par le troupeau lui-même, indiquant que l’effet de la fasciolose sur la production laitière dans cette étude doit être modéré21.

1.2 Croissance

Sur la base des saisies hépatiques à l’abattoir et des résultats des sérologies ELISA, l’impact moyen défavorable de l’infestation par Fasciola hepatica sur le poids des carcasses à l’abattoir se situe entre 0.5 et 0.7 %. (Charlier et al., 2013)5.

Concernant les génisses, Loyacano, cité par Charlier (2013)5 observe que leur traitement permet une augmentation de poids de 6% par rapport à celles non traitées.

1.3 Performances de reproduction

Concernant l’altération des performances de reproduction, les résultats des différentes études ne sont pas concordants. Pour Charlier (2013)5, l’impact négatif ne concernerait ainsi que les niveaux d’infestation élevés et les génisses, du fait d’une croissance pénalisée.

Pour autant, l’équipe de recherche de l’université de Gand a intégré, dans son calculateur Paracalc® un retard de puberté de 25 jours, un nombre moyen d’IA nécessaire augmenté de 75% chez 50% des femelles d’un troupeau infesté (ODR ES Elisa > 0 ,8), et un intervalle vêlage - vêlage moyen allongé de 4,5 jours (Charlier 2012)6.

1.4 Immunité et santé publique

Les conséquences défavorables de l’infestation par la grande douve s’expliquent également par l’amplitude de la réponse immunitaire humorale et cellulaire.

La paroi intestinale et le parenchyme hépatique sont ainsi le siège d’une réponse inflammatoire intense, en particulier lors de ré-infestation (Alzieu et al., 2007 ; Chauvin, 2012)1,10.

Alzieu cité par Jacquiet (2008)17 observe une baisse de la qualité du colostrum avec une plus grande fréquence de diarrhées néonatales chez les veaux issus de mères douvées.

De plus, comme cela a été démontré chez l’homme et la souris, les capacités d’immuno-modulation de la grande douve sont responsables d’une plus grande vulnérabilité à d’autres agents infectieux bactériens et viraux. Notamment, la réaction immunitaire Th2 contre Fasciola hepatica se met en place au détriment de la réponse Th1 (Alzieu et al., 2007 , Jacquiet, 2008)1,17. Il s’agit d’un enjeu de santé publique. Les dernières publications rapportent une diminution de sensibilité des tests de dépistage de la tuberculose chez les animaux douvés (Claridges, 2012 ; Flynn, 2010 cités par Ph. Dorchies et C. Chartier dans ce recueil)12,14.

Ainsi, le contrôle des infestations par la grande douve est indispensable afin de limiter la gravité de l’impact de l’infestation sur les performances et la santé des bovins, et sur le dépistage de la tuberculose.

Indicateurs pour diagnostiquer et quantifier l’infestation

La population de Fasciola hepatica au sein des animaux d’un troupeau est surdispersée. Elle obéit à une loi binomiale négative. Dans un troupeau, la majorité des animaux n’héberge que quelques douves alors qu’une faible proportion des animaux héberge un nombre de douves plus important. Par exemple, lorsque la prévalence d’infestation du troupeau est de 50%, 97% des animaux infestés hébergent moins de 20 douves et 79% moins de 4 douves (Chauvin 2012)10. Ces informations nécessitent d’être prises en compte pour qualifier la sensibilité d’utilisation des différents tests diagnostiques, et définir les règles d’échantillonnage dans le cadre d’un screening de troupeau.

Coproscopie

La coproscopie pour mettre en évidence les oeufs de Fasciola hepatica n’est pas une technique assez fiable et pratique pour l’évaluation du risque. Son interprétation quantitative est impossible et sa sensibilité varie de 30 à 68% selon les études (Braun 1995 in Duscher 2011)13. Plusieurs raisons expliquent cette faible sensibilité. La période prépatente de Fasciola hepatica est longue (environ 12 semaines). La majorité des animaux infestés n’hébergent que quelques douves. La ponte des oeufs est faible et discontinue, et la libération de la bile, irrégulière.

Certains auteurs indiquent qu’il faudrait multiplier les prélèvements par 3 pour obtenir une sensibilité voisine de 90%, ce qui parait difficile en pratique. En revanche, la coproscopie reste un indicateur global intéressant des parasites présents au pâturage, et en particulier de Calicophoron daubneyi (anciennement Paramphistomum daubneyi).

Elisa anticorps Fasciola hepatica

La technique Elisa est basée sur la mise en évidence des anticorps produits envers Fasciola hepatica. Son résultat positif indique, avec une sensibilité et une spécificité variables selon les tests, le fait que l’animal est ou a été infesté, dans les mois précédents. En effet, les anticorps peuvent être détectés jusqu’à 8 mois (Chauvin, 1997)11 après la mort du parasite. Il n’est pas possible de différencier les infestations récentes des infestations anciennes.

Selon les tests et les conditions d’infestation, l’interprétation des résultats devrait prendre en compte plusieurs facteurs :

→ Le prélèvement

  • matrice utilisée : lait, sérum dilution (mélange)

→ la spécificité et la sensibilité du test selon

  • le test de référence choisi (représentativité de la population, seuil)

  • le seuil de détection (= seuil de positivité)

  • le moment de la détection des anticorps et cinétique de détection

→ le statut physiologique des animaux

  • parité des animaux

  • stade de lactation

  • maladies intercurrentes

→ le statut immunitaire envers la grande douve

  • persistance des anticorps

  • entretien de l’immunité

→ le risque grande douve

  • période à risque

  • période d’infestation

  • durée de survie

  • traitement

Les données bibliographiques de ces quatre dernières années nous permettent de mieux qualifier les applications des différents tests ELISA disponibles, et leurs caractéristiques respectives. De plus, un nouveau test (Elisa MM3) semble prometteur. En effet, ses hautes sensibilités et spécificités sur lait individuel et sur lait de tank sembleraient pouvoir améliorer la fiabilité et l’accessibilité pratique et économique du screening de troupeau à partir du lait.

Test MM3 – Elisa décrit par Mezo (2010)22,23

Cette méthode de diagnostic ELISA est basée sur l’identification monoclonale d’épitopes spécifiques des protéines issues des produits d’excrétion et de sécrétion de Fasciola hepatica.

Deux études conduites en Galice, l’une expérimentale22 et l’autre réalisée sur le terrain23 démontrent des fortes sensibilités et spécificités du test sur les différentes matrices, que les analyses soient faites individuellement ou par mélange (pool ou lait de tank). Le tableau ci-dessous reprend ces différentes données.

test mm3 gde douve 530

Réalisé sur sérum individuel, le test MM3 permet d’identifier un animal infesté par au moins 3 douves avec une sensibilité et une spécificité de 100% dès lors que l’examen est réalisé entre 4 et 55 semaines après l’infestation. En prenant en compte les animaux qui hébergent moins de 3 douves, la sensibilité du test atteint 95%, ce qui reste très élevé.

Les anticorps sont détectables pendant plus de 50 semaines dès lors que la dose d’infestation est supérieure ou égale à 25 métacercaires. De plus, la cinétique des anticorps au cours du temps reste très stable pour des doses d’infestation supérieures à 100 métacercaires, variable pour des doses supérieures à 50 métacercaires, et en baisse pour les doses inférieures ou égales à 25 métacercaires. Pour une dose d’infestation de 10 métacercaires, Mezo montre que le test n’a pas permis de détecter les anticorps 40 semaines après l’infestation expérimentale.

Sur lait individuel, les anticorps sont détectables pendant toute la lactation dès lors que la dose d’infestation est supérieure ou égale à 25 métacercaires. A partir de 20 semaines après l’infestation, aux doses d’infestations expérimentales de 25 métacercaires, les valeurs sont supérieures mais très proches du seuil de détection. Comme sur sérum, le test sur lait individuel ne permet plus de détecter les anticorps 40 semaines après l’administration d’une dose infestante de 10 métacercaires. De plus, les profils cinétiques des anticorps au cours du temps restent identiques à ceux observés sur sérum individuel. Ni le stade de lactation, ni le numéro de lactation n’interfèrent avec les résultats du test.

Dans une étude terrain22 de 2011 dans laquelle les animaux n’ont pas été traités auparavant, Mezo observe que le screening sur lait de tank permet de détecter, avec une sensibilité et une spécificité de 100%, un troupeau infesté lorsqu’au moins 12% des animaux sont séropositifs, et que le seuil de positivité (OD) est de 0,100. Ce résultat est concordant avec celui de l’étude expérimentale et valide le fait que la sensibilité du test sur le lait n’est pas diminuée pour des dilutions pouvant atteindre le 8ème.

Par ailleurs, les densités optiques mesurées sur lait de tank sont fortement corrélées à la séroprévalence (r² = 0,8).

Test Pourquier® Elisa

La méthode consiste à mettre en évidence une sousfraction purifiée F2 des produits d’excrétion – sécrétion de Fasciola hepatica.

L’étude expérimentale19 de Kuerpick en Allemagne en 2013 renseigne sur la sensibilité et la spécificité du test sur sérum individuel ; celles-ci sont de 100% lorsque le seuil de positivité est de 30% et que l’examen est réalisé entre 4 semaines et 21 semaines après l’infestation. Dans cet essai, les animaux étaient infestés à différentes doses de métacercaires. Aucune corrélation entre le résultat du test et le niveau d’infestation n’a été observée. En revanche, l’utilisation d’animaux positifs, au moins une fois, à l’examen coproscopique, comme test de référence ne semble pas la méthode la plus appropriée pour définir les paramètres du test sur sérum.

Dans une étude terrain8 réalisée en Belgique en 2008, Charlier évalue la sensibilité du test sur sérum individuel à 88% et sa spécificité à 84% en prenant comme test de référence le comptage direct des parasites. Ces différences de sensibilité et de spécificité entre l’étude expérimentale et l’étude terrain peuvent s’expliquer du fait que les tests de référence utilisés ne sont pas les mêmes. Le dénombrement direct des  parasites est plus sensible que la coproscopie. De plus, en conditions de terrain, la période, le niveau et la durée d’infestation ne sont pas connus. D’où l’importance de connaitre l’effet de ces facteurs pour définir les paramètres d’un test. Dans cette étude, un effet saison a été mis en évidence. En effet, la sensibilité du test est significativement supérieure sur les prélèvements de printemps par rapport à ceux d’automne.

Par ailleurs, pour Chauvin (2012)10 le test Pourquier bénéficie certes d’une haute sensibilité (95%) lorsque les animaux hébergent plus de quatre douves ; en revanche, lorsque les animaux hébergent moins de quatre douves, cette sensibilité est diminuée de moitié. Or, lorsque la prévalence d’infestation intra-troupeau est de 30 %, 96% des animaux infestés hébergent moins de 4 douves. Lorsque la prévalence d’infestation est de 70%, seuls 49% des animaux hébergent plus de 4 douves. Pour pouvoir mettre en évidence une prévalence intra-troupeau > 30%, il est alors nécessaire de prendre un échantillon de 17 animaux pour un troupeau de 100 vaches (ou un échantillon de 12 animaux dans un troupeau de 20 vaches). Sans perte de sensibilité, le screening peut être réalisé sur mélange si deux mélanges de 2 x 8 animaux (ou 2 x 6 pour un troupeau de 20 vaches) sont analysés pour compenser les biais de dilution.

Dans une étude terrain13 conduite en Autriche en 2011, Duscher montre une sensibilité sur lait individuel de 97% du test Pourquier en prenant pour test de référence l’analyse sur sérum individuel, et un seuil de détection (ou positivité) S/P* fixé à 30%. Ces niveaux de sensibilité et spécificité du test sur lait individuel concordent avec l’étude expérimentale de Reichel en 200526. En revanche, les conclusions de ces deux auteurs concernant l’utilisation du test sur lait de tank sont discordantes. Dans l’étude de Duscher, le test a permis de détecter les anticorps dans le lait de tank dès lors que 20% des animaux du troupeau étaient séropositifs. En revanche dans l’étude de Reichel (2005)26, il ne fallait pas moins de 60% d’animaux infestés pour que le test sur lait de tank soit positif. Une des raisons de cette discordance s’explique par un effet dilution élevé, associé à des prévalences d’infestation entre les études différentes.

* S/P : seuil de détection. S : valeur de la densité optique de l’échantillon testé / P : valeur de densité optique de l’échantillon positif de référence.

Test ES Elisa

Ce test est fondé sur la détection de l’ensemble des produits d’excrétion – sécrétion de Fasciola hepatica, ce qui lui donne une sensibilité importante au détriment de sa spécificité (mais cette dernière reste élevée).

La méthode a fait l’objet de nombreuses publications qui mentionnent des sensibilités du test sur sérum individuel comprises entre 86 et 100% et des spécificités comprises entre 83 et 96% (Charlier, 2013)5.

En fixant le seuil de positivité ODR à 0,09, Kuerpick (2013)19 indique que la sensibilité et la spécificité du test sur sérum individuel sont améliorées. Entre 4 semaines et 21 semaines post-infestation, la sensibilité du test est comprise entre 90 et 100%, et la spécificité égale à 100%.

Chauvin (2012)10 rapporte que le test Elisa ES – Inra permet de détecter les animaux infestés par au moins une douve avec une sensibilité de l’ordre de 95% lorsque l’analyse est réalisée sur sérum individuel. Pour mettre en évidence une prévalence d’infestation intratroupeau supérieure à 30%, Chauvin recommande de réaliser deux mélanges de sérum de 5 + 5 animaux dans les troupeaux de 100 vaches ou 4 +4 dans les troupeaux de 20 vaches.

Dans une étude terrain8 en Belgique, Charlier en 2008 précise que le Test ES Elisa réalisé sur sérum individuel permet de distinguer les infestations supérieures à 10 grandes douves des infestations inférieures. Il note cependant une faible corrélation (0.33 à 0,35) entre le niveau d’infestation individuel et le résultat du test exprimé en ratio de densité optique. Par ailleurs, il note un effet saison : la sensitivité du test est significativement supérieure sur les prélèvements d’automne par rapport à ceux de printemps.

Dans une étude terrain29 conduite en Angleterre en 2007, Salimi rapporte une sensibilité du test sur lait individuel de 92% et une spécificité de 88%, en prenant pour test de référence l’examen individuel sur sérum, et un seuil de positivité de 30%. Par ailleurs, le stade de lactation n’a pas montré d’effet sur la sensibilité du test.

Dans une autre étude terrain30, Salimi (2005) indique que le test réalisé sur lait de tank a permis de détecter les troupeaux infestés dès lors que 25% des animaux étaient séropositifs (sensibilité 96%, spécificité 80%, seuil de positivité S/P = 27%).

Pour conclure, les différentes caractéristiques des tests Elisa rendent le screening au niveau du troupeau pratique, économique, sensible et spécifique. En revanche, il est indispensable de connaitre la fiabilité de leur application en fonction de la prévalence recherchée, du niveau d’infestation, et de la dispersion des douves au sein d’un troupeau.

Actuellement, il convient de suivre les préconisations d’Alain Chauvin (2012)10 en utilisant les tests ES INRA et Pourquier sur mélange de sérums pour apprécier le risque d’infestation d’un troupeau. L’analyse conjointe des dangers en recherchant les gites à limnées potentiels est indispensable afin d’améliorer la sensibilité globale de l’approche. L’un ne va pas sans l’autre.

L’utilisation des différents tests et leurs conditions d’échantillonnage sur le lait doivent être validées pour espérer les rendre utilisable prochainement. Le nouveau test MM3 semble prometteur pour ce type d’utilisation.

Rentabilité économique des stratégies de traitement envers Fasciola hepatica quand dois-je traiter ?

Les différentes rentabilités économiques de traitement systématique et sélectif, en lactation et au tarissement sont décrites ci-dessous. En revanche, les options de traitement sélectif en lactation et de diagnostic sur le lait ne pourront s’envisager qu’une fois les tests ELISA sur lait individuel et lait de tank validées par des études complémentaires de sensibilité et spécificité. Le test Elisa MM3 semblerait pouvoir répondre aux exigences de sensibilité et spécificité d’analyse sur le lait. Par ailleurs, pour être facilement mise en oeuvre, ces possibilités diagnostiques doivent être systématisées.

Les rentabilités économiques proposées intègrent le % d’animaux infestés par troupeau, la diminution de production individuelle, les coûts de traitement, les coûts d’analyses, et éventuellement le lait devant être jeté (pendant le temps d’attente lait des spécialités à base d’oxyclozanide, soit actuellement 4,5 jours).

Les calculs sont effectués en prenant les hypothèses de coûts suivantes :

  • Une pénalisation de la production laitière moyenne d’1 litre, par jour et par vache infestée non traitée (par rapport aux animaux traités au tarissement, quels que soient le nombre de lactations, le niveau d’infestation individuel et le moment du traitement par rapport à l’infestation (Charlier et al., 2012)7.

  • Le prix d’un litre lait à 0,32 euros

  • Un traitement au tarissement systématique des animaux du troupeau impliquant :

→ une analyse sur lait de tank au prix de 10 euros ou deux sérologies de mélange au prix de 20 euros

→ un traitement à base d’oxyclozanide fixé arbitrairement à 3,5 euros pour 700 Kg de poids vif

→ un traitement sélectif pour les animaux en lactation impliquant d’écarter 118 L de lait pendant 4,5 jours, soit un manque à gagner de 38 euros

→ un diagnostic individuel de 10 euros par vache (soit 4 x moins cher que de jeter le lait)

→ une analyse sur lait de tank au prix de 10 euros

Cette approche économique ne prend pas en compte le prix de la main d’oeuvre des traitements. De plus, elle est uniquement basée sur l’impact estimé de la grande douve sur la production laitière lorsqu’un traitement est réalisé au tarissement, peu importe les niveaux et moments d’infestations des animaux. La rentabilité économique des traitements proposée parait alors sous-estimée. En effet les impacts de Fasciola hepatica sur les performances de reproduction, l’immunité des animaux, et la croissance des animaux n’ont pas été intégrés. Le traitement prophylactique de l’ensemble du troupeau sans évaluation préalable du danger Fasciola hepatica et de son risque d’infestation n’est pas envisageable. En effet, il pourrait contribuer au développement de résistance des parasites aux douvicides.

Les premiers cas de résistances ont été récemment décrits en Australie pour le triclabendazole (Brockwell et., 2014)4.

Rentabilité du traitement des animaux en période de tarissement

Rentabilité du traitement sélectif sur la base de diagnostics individuels

En tenant compte des éléments décrits ici, il apparait que le traitement au tarissement des animaux infestés diagnostiqués individuellement devient rentable dès que la prévalence d’infestation est supérieure à 11%. Si un deuxième traitement est envisagé, pour être rentable, la prévalence d’infestation doit-être supérieure à 12%.

Rentabilité du traitement systématique du troupeau sur la base d’un screening du troupeau

Le traitement systématique d’un troupeau au tarissement  est rentable dès lors que 4 % des animaux sont infestés (8% si deux traitements par animal).

Rentabilité du traitement des animaux en lactation

Rentabilité du traitement sélectif sur la base du diagnostic individuel

Le traitement en lactation des animaux infestés diagnostiqués individuellement devient rentable dès lors que la prévalence d’infestation intra-troupeau est supérieure à 18% (19% avec un traitement supplémentaire au tarissement ou en lactation sans jeter le lait). De plus, ce seuil de rentabilité est probablement sous-estimé. En effet, l’impact du traitement sur la production laitière est probablement supérieur, du fait que son administration peut-être raisonnée en fonction de la période à risque et de l’activité adulticide du principe actif.

Rentabilité du traitement systématique du troupeau sur la base d’un screening du troupeau

Le traitement en lactation systématique d’un troupeau n’est rentable qu’à partir de 43% d’animaux infestés (46% avec un traitement supplémentaire au tarissement ou en lactation).

 

Plan de gestion de la douve en élevage laitier

A partir des éléments d’impact de la grande douve en élevage laitier, de la rentabilité de son traitement, et des possibilités diagnostiques décrits précédemment, un plan de gestion de la grande douve en élevage laitier est proposé ci-dessous. Il se déroule en 4 étapes : l’identification du danger, l’évaluation du risque, les mesures thérapeutiques, et les mesures agronomiques correctives. Un résumé du plan de gestion est disponible en fin d'article.

Identification du danger : la grande douve est-elle présente ?

Examens complémentaires au cours de la visite parasitologie de rentrée en stabulation

Pour un coût raisonnable, les tests ELISA Fasciola hepatica actuellement disponibles en routine permettent de mettre en évidence les troupeaux infestés dès lors que 20% des animaux sont infestés. Inversement, un résultat négatif, permet uniquement de préciser que 80% des animaux du troupeau sont sains.

Pour cela, il convient, de réaliser 4 semaines après la rentrée à l’étable, deux mélanges de sérum de 6 génisses et 6 vaches, choisies au hasard. Si l’un des deux mélanges est positif au test ES Inra alors plus de 20% des animaux du troupeau sont ou ont été infestés. (Si le test Pourquier est choisi, il convient de réaliser deux mélanges de 10 animaux). Sur le lait de tank, les tests Elisa ES et Pourquier semblent manquer de sensibilité pour identifier la majorité des troupeaux infestés en France. Le test MM3 parait plus sensible. Deux études ont permis de détecter les troupeaux infestés dès lors qu’environ 11% des animaux étaient infestés.

Etant donné les limites de détection des tests sérologiques actuellement disponibles pour le screening de troupeau, le diagnostic sérologique ne peut se substituer de la recherche des potentiels gites de limnée tronquée. De plus, elle permettra de limiter le traitement aux seuls animaux ayant pâturés sur des zones à risque, puis de proposer des mesures préventives.

Aussi, la réalisation des 5 à 10 coproscopies de rentrée à l’étable pour rechercher les oeufs de Calicophoron daubneyi permet parallèlement d’évaluer indirectement la présence de limnées tronquées sur l’exploitation.

Deux études récentes22,23 en Galice attribuent au test Elisa MM3, la possibilité de détecter sur lait de tank les troupeaux dont la prévalence d’infestation intratroupeau est supérieure à 12 % (résultat d’analyse MM3 Elisa OD >0,100)22. Il conviendra de s’y intéresser plus précisément afin de valider la fiabilité de son utilisation sur le lait de tank, puis de rendre la mise en oeuvre des analyses sur lait individuel pratique et systématique.

Recherche des gites potentiels des limnées tronquées

La limnée tronquée ou Galba truncatula est l’hôte intermédiaire spécifique de Fasciola hepatica et Calicophorum Daubneyi. Elle vit et se multiplie spécifiquement dans les zones humides.

Il convient alors d’identifier les zones humides (berges, sources, marécages, bordure des mares, fossés, abreuvoir, concavité du terrain) présentes sur l’exploitation qu’elles soient permanentes, temporaires, petites ou grandes, accessibles ou non.

L’identification des petites zones temporaires n’est pas toujours aisée. L’appui de la sérologie Ac Fasciola hepatica pour s’assurer de ne pas passer à côté de certaines zones plus difficiles à mettre en évidence (fuite d’eau à bas bruit et écoulements, abreuvoir dans la stabulation, piétinement des animaux à proximité des abreuvoirs et zone d’alimentation à l’extérieur, …) s’avère indispensable (Ph. Camuset, observation personnelle).

Pour aller plus loin, et identifier les limnées tronquées, il convient de connaitre les périodes de multiplication (printemps et automne) auxquelles il est plus facile de les trouver. Afin de différencier la limnée tronquée des principaux mollusques présents dans les zones humides françaises, la clé de tri simplifiée décrite par Chauvin (2012)10 pourra être utilisée.

Ainsi, en couplant l’immuno-diagnostic, la recherche des gites potentiels de limnée tronquée, et les coproscopies au sein d’une visite parasitologie à la rentrée en stabulation, il est possible d’estimer si le danger est présent au niveau de l’exploitation.

Evaluation du risque : quelle est la dispersion du risque au sein du troupeau ?

Cette étape doit permettre de connaitre le risque d’infestation de chaque animal et/ catégories d’animaux.

Il convient de retracer la présence des animaux sur les parcelles au sein ou à proximité desquelles les gites potentiels de limnée tronquées ont été identifiés.

Si le risque d’infestation concerne tous les animaux, alors il convient de mettre en place le plus tôt possible un traitement de l’ensemble du cheptel. Si le risque d’infestation concerne certains animaux ou certaines catégories d’animaux alors il conviendra dans un premier temps de les traiter puis dans un deuxième temps, de proposer si possible des mesures agronomiques correctives.

Mesures thérapeutiques

Les conditions pratiques d’utilisation et le coût des techniques de diagnostic individuel, limitent aujourd’hui les possibilités de traitement à la seule période du tarissement jusqu’au vêlage (et/ou lors d’une autre nécessité d’écarter le lait).

Les nouveaux aspects réglementaires d’utilisation des douvicides en élevage laitier nécessitent de prendre en compte le stade physiologique des animaux.

L’oxyclozanide devient la seule molécule autorisée pour traiter la grande douve chez la femelle laitière pendant toute la durée de la gestation, la lactation et le tarissement.

Pour les génisses non gestantes et gestantes avant le dernier tiers de gestation, soumises au seul risque d’infestation par Fasciola hepatica, l’usage d’autres molécules que l’oxyclozanide n’est pas interdit. Les animaux seront traités selon les particularités des différentes molécules. Si l’oxyclozanide est choisi, alors un premier traitement à la rentrée à l’étable est conseillé et un traitement 8 semaines après la rentrée à l’étable est nécessaire.

Pour les génisses dont le vêlage est prévu avant la date de rentrée à l’étable (+14 semaines), seul l’oxyclozanide peut être prescrit pour conseiller un traitement deux mois avant la date prévue du vêlage.

Pour les vaches laitières, les préconisations de traitement à l’oxyclozanide sont définies à partir de la date de mise à l’herbe et la date + 10 semaines de rentrée des animaux. Ainsi :

  • Dans la période A (Date +10 semaines de rentrée des animaux – Date de mise à l’herbe), les animaux recevront un traitement à base d’oxyclozanide s’ils sont taries ou le cas échéant, à l’occasion d’une autre indication de jeter le lait (mauvais état général de l’animal ou autre traitement associé à un état général correct).

  • Dans la période B (Date de mise à l’herbe – Date + 10 semaines de rentrée des animaux), les animaux recevront deux traitements à base d’oxyclozanide le jour du tarissement, et au vêlage, ou le cas échéant, à l’occasion d’une autre indication de jeter le lait (mauvais état général de l’animal ou autre traitement associé à un état général correcte).*

* : Le traitement des animaux au cours de la période A ne justifie pas le traitement des animaux aux cours des 10 premières semaines de la période B.

Mesures agronomiques correctives

Les accès aux zones humides et à leurs affluents doivent dans la mesure du possible être condamnés.

Les modes d’abreuvement et de distribution de l’aliment doivent être étudiées de manière à éviter que l’humidité de piétinement s’y installe de manière permanente ou temporairement longue.

Différentes situations sont décrites :

  • Le risque est diffus sur les 100 % de la surface disponible pour le pâturage

→ Mesures agronomiques impossibles. Stratégie thérapeutique annuelle.

  • Le risque est limité à certaines zones, l’accès à ces zones peut être définitivement condamné et non réattribué

→ Mesures agronomiques de suppression d’accès à ces zones.

  • Le risque est limité à certaines zones, ces zones ne peuvent-être écartées pour le pâturage.

→ Attribution des zones à risque aux animaux futurs producteurs de lait avant le troisième tiers de gestation et stratégie thérapeutique

→ Orientation des animaux futurs producteurs de lait en dernier tiers de gestation et des animaux producteurs de lait vers des zones saines ou assainies.

Si la surface de parcelles saines ou assainies ne suffit pas pour contenir ces derniers, il conviendra de traiter annuellement les animaux laissés sur des parcelles à risque.

Lorsque des mesures agronomiques sont possibles, il conviendra de les réévaluer, annuellement, au cours de la visite parasitologie après la rentrée à l’étable.

Lorsque des mesures agronomiques ne peuvent être mise en place à 100%, il conviendra de traiter annuellement les animaux à risque, selon les préconisations définies plus haut.

Ces mesures ne substituent pas la nécessité de réaliser annuellement 5 à 10 coproscopies individuelles, à la rentrée à l’étable, afin d’évaluer les risques d’infestation par Calicophoron daubneyi mais aussi par la petite douve (Dicrocoelium dendriticum), parasite des zones sèches et humides, en recrudescence chez les bovins.

Conclusion

L’impact clinique, économique et sanitaire de la grande douve en élevage laitier rend indispensable son contrôle. Il s’agit d’un enjeu de santé publique. La restriction d’usage des douvicides en élevage laitier renforce l’importance du conseil des vétérinaires auprès des éleveurs.

L’analyse des risques du parasitisme devient incontournable pour sensibiliser l’éleveur et raisonner la conduite d’élevage par rapport au risque de la grande douve.

Les publications de ces dernières années rapportent une amélioration importante de la sensibilité et spécificité des différents tests diagnostiques sur sérum et le lait, pour apprécier l’infestation de la grande douve aux échelles du troupeau et de l’animal.

La fiabilité des tests sur lait de mélange (pool ou lait de tank) et la systématisation des analyses sur le lait permettrait de faciliter l’évaluation des risques et la mise en place de traitement sélectif.

Etant donné les limites actuelles d’utilisation pratique des analyses individuelles sur le lait, il convient de conseiller le traitement collectif des animaux à risque au cours du tarissement (jusqu’au vêlage), et/ou lorsqu’une autre indication d’écarter le lait se présente.

Ces modifications réglementaires et analytiques renforcent le rôle du vétérinaire comme acteur principal du conseil en éclairant l’éleveur sur les possibilités de traitement et de prévention des parasites en élevage laitier.

Plan de gestion de la grande douve en élevage laitier

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 Source : abc éleveurs

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